[Traces] Numérique et travail : Un secteur porteur, mais pas pour tout le monde ?
Issu de Faiseuses du Web n°2 en 2023, voici la retranscription du fish bowl Numérique & travail
Note : Le fish bowl ne donne pas une retranscription facile à s’approprier si vous n’étiez pas là pour voir toute la dimension informelle de l’évènement. Nous partageons tout de même la retranscription dans l’espoir que cela puisse vous servir néanmoins.
Note 2 : L’enregistrement était de très mauvaise qualité, la retranscription n’est pas parfaitement fidèle à certains endroits, désolée d’avance…
Introduction de Maïtané (alias Maiwann)
Eh ben, c’est parti pour la deuxième discussion, un fish bowl autour de numérique et travail.
Alors, normalement, c’est moi qui fais le speech d’introduction et il s’avère que j’ai pas d’idées. Encore une fois, j’avais de la fièvre, donc déjà… Donc, j’ai de bonnes excuses, mais en vrai, j’ai plein de choses à dire sur numérique et travail, mais j’ai l’impression que c’est un peu hors sol tant que je ne connais pas vos situations à vous.
- Qui travaille dans le numérique ?
- Qui a un employeur ? Ah du coup, la question n’est pas bonne parce que presque tout le monde a levé la main alors que des gens que je considérais indépendants lèvent la main…
- Alors l’inverse, qui c’est qui est à son compte, qui travaille à son compte ?
Ohlala, et donc, il y a quelques personnes qui lèvent la main, quatre, cinq… presqu’un tiers…
- Est-ce qu’on peut être à son compte avec un employeur ?
- Houlà oui du coup je twiste le truc… Il y a une personne qui hésite. Tandis que pour la question “qui est ce qui travaille dans le numérique” tout le monde a levé la main.
Du coup, je vais lâcher des sujets, puis je vous propose qu’on en discute selon ce qui vous intéresse.
On pourrait parler de justement d’être indépendant, d’être à son compte ou d’être subordonné à un employeur dans le milieu du numérique. Est-ce que ça permet vraiment vraiment davantage de choses que d’autres secteurs, ou pas ? C’est une question que je me pose. En tout cas moi, je bosse dans la conception d’outils numériques ça me donne une très grande liberté, notamment de travailler d’où je veux, qui m’amène pas mal de possibilités. > Ça donne ce privilège là, on pourrait en parler aussi, mais c’est pas parce que c’est le cas pour nous, que ces exemples d’indépendance, sont pas duplicable pour plein d’autres personnes. On pourrait parler syndicalisme dans le numérique. Et action militante, notamment, surtout dans le contexte actuel.
Je suis syndiquée à solidaires informatique depuis l’année dernière. Parce que puisque, vu le bilan des élections de l’année dernière, je me suis dit: ok, comment on fait des trucs ? Je me suis syndiquée, du coup j’ai accès aux discussions qui a en interne et il y a des discussions assez intéressantes sur quel niveau d’action est possible, avec quel niveau de risque, et je trouve ça assez intéressant, on pourrait parler de ça.
On pourrait parler de responsabilité…
On pourrait parler de formation aussi, parce qu’un truc que j’ai un peu entendu tout à l’heure, c’est : “oui, mais les gens, les personnes ne sont pas formées”. C’est vrai que moi, j’ai pas eu de formation d’accessibilité, mais j’ai l’impression que quand je suis arrivé dans le milieu des conférences du numérique, il y a 7 ans, j’entendais déjà tout le temps : “oui, mais faudrait mieux former les gens” et j’ai l’impression que on en est toujours au même point. Donc, du coup ça veut dire qu’il y a des verrous qui sont plus gros que juste se rendre compte qu’il faudrait former.
On pourrait parler niveau de rémunération. Je pense que c’est bien d’être complètement transparent. De “est-ce que on est privilégié ou pas” ?
De niveau de rémunération et, de façon un peu globale, de conditions de travail? Un peu une croyance qu’il y a (donc là je parle pour ma paroisse, de conception/ concepteurs d’outils numériques) que c’est quand même un métier hyper confortable et à la fois très vrai, et à la fois j’ai une copine, qui était en SSII, on dit ESN maintenant, Entreprise de Services Numériques… On va être sur des grosses boîtes qui ont des clients et qui payent leurs salariés pour réaliser les projets des clients, qui a fait un burn-out en 3 ans. Donc elle avait 26 ans, quand elle a fait son burn-out. Bon. Normalement il paraît qu’on n’a pas à se plaindre.
Alors voilà on pourrait aborder tout ces sujets de discussion.
On pourrait parler numérique et émancipation, travail émancipateur. Comment on fait des trucs cool, comment on a un contexte de travail cool, comment on a des projets cool. Est-ce que c’est possible ? Galère ? Est-ce que c’est possible d’en vivre ou est-ce que ça va rester que du travail bénévole et du coup, ça sera complètement impossible. Parler de temps plein, temps partiel, temps très partiel.
Voilà donc, je pose tous ces sujets sur la table. Et après il y a le forum ouvert de toute façon, si on n’a pas creusé tous les sujets, si il y en a d’autres à creuser.
Mais voilà, ça m’évite de faire une conférence de trois heures, c’est pas le but. Donc, je pose tout ça, et puis il y a des sujets qui vous intéressent bah…
Échanges des participant·es
- Eh ben, c’est parti pour la deuxième discussion, un fish bowl autour de numérique et travail.
Alors, normalement, c’est moi qui fais le speech d’introduction et il s’avère que j’ai pas d’idées. Encore une fois, j’avais de la fièvre, donc déjà… Donc, j’ai de bonnes excuses, mais en vrai, j’ai plein de choses à dire sur numérique et travail, mais j’ai l’impression que c’est un peu hors sol tant que je ne connais pas vos situations à vous.
- Qui travaille dans le numérique ?
- Qui a un employeur ? Ah du coup, la question n’est pas bonne parce que presque tout le monde a levé la main alors que des gens que je considérais indépendants lèvent la main…
- Alors l’inverse, qui c’est qui est à son compte, qui travaille à son compte ?
Ohlala, et donc, il y a quelques personnes qui lèvent la main, quatre, cinq… presqu’un tiers…
-
Est-ce qu’on peut être à son compte avec un employeur ?
-
Houlà oui du coup je twiste le truc… Il y a une personne qui hésite. Tandis que pour la question “qui est ce qui travaille dans le numérique” tout le monde a levé la main.
Du coup, je vais lâcher des sujets, puis je vous propose qu’on en discute selon ce qui vous intéresse.
On pourrait parler de justement d’être indépendant, d’être à son compte ou d’être subordonné à un employeur dans le milieu du numérique. Est-ce que ça permet vraiment vraiment davantage de choses que d’autres secteurs, ou pas ? C’est une question que je me pose. En tout cas moi, je bosse dans la conception d’outils numériques ça me donne une très grande liberté, notamment de travailler d’où je veux, qui m’amène pas mal de possibilités. Ça donne ce privilège là, on pourrait en parler aussi, mais c’est pas parce que c’est le cas pour nous, que ces exemples d’indépendance, sont pas duplicable pour plein d’autres personnes. On pourrait parler syndicalisme dans le numérique. Et action militante, notamment, surtout dans le contexte actuel.
Je suis syndiquée à solidaires informatique depuis l’année dernière. Parce que puisque, vu le bilan des élections de l’année dernière, je me suis dit: ok, comment on fait des trucs ? Je me suis syndiquée, du coup j’ai accès aux discussions qui a en interne et il y a des discussions assez intéressantes sur quel niveau d’action est possible, avec quel niveau de risque, et je trouve ça assez intéressant, on pourrait parler de ça.
On pourrait parler de responsabilité…
On pourrait parler de formation aussi, parce qu’un truc que j’ai un peu entendu tout à l’heure, c’est : “oui, mais les gens, les personnes ne sont pas formées”. C’est vrai que moi, j’ai pas eu de formation d’accessibilité, mais j’ai l’impression que quand je suis arrivé dans le milieu des conférences du numérique, il y a 7 ans, j’entendais déjà tout le temps : “oui, mais faudrait mieux former les gens” et j’ai l’impression que on en est toujours au même point. Donc, du coup ça veut dire qu’il y a des verrous qui sont plus gros que juste se rendre compte qu’il faudrait former.
On pourrait parler niveau de rémunération. Je pense que c’est bien d’être complètement transparent. De “est-ce que on est privilégié ou pas” ?
De niveau de rémunération et, de façon un peu globale, de conditions de travail? Un peu une croyance qu’il y a (donc là je parle pour ma paroisse, de conception/ concepteurs d’outils numériques) que c’est quand même un métier hyper confortable et à la fois très vrai, et à la fois j’ai une copine, qui était en SSII, on dit ESN maintenant, Entreprise de Services Numériques… On va être sur des grosses boîtes qui ont des clients et qui payent leurs salariés pour réaliser les projets des clients, qui a fait un burn-out en 3 ans. Donc elle avait 26 ans, quand elle a fait son burn-out. Bon. Normalement il paraît qu’on n’a pas à se plaindre.
Alors voilà on pourrait aborder tout ces sujets de discussion.
On pourrait parler numérique et émancipation, travail émancipateur. Comment on fait des trucs cool, comment on a un contexte de travail cool, comment on a des projets cool. Est-ce que c’est possible ? Galère ? Est-ce que c’est possible d’en vivre ou est-ce que ça va rester que du travail bénévole et du coup, ça sera complètement impossible. Parler de temps plein, temps partiel, temps très partiel.
Voilà donc, je pose tous ces sujets sur la table. Et après il y a le forum ouvert de toute façon, si on n’a pas creusé tous les sujets, si il y en a d’autres à creuser.
Mais voilà, ça m’évite de faire une conférence de trois heures, c’est pas le but. Donc, je pose tout ça, et puis il y a des sujets qui vous intéressent bah…
« Je vais raconter ma vie. Moi, j’ai pas fait une formation dans le numérique et là j’essaie, dans le numérique et, ce que j’ai à raconter, c’est que dans mon poste qui était dans une entreprise j’ai eu l’opportunité de travailler sur un outil numérique. Donc, j’étais pas de ce milieu, mais j’étais un espèce de product owner, chargée de projet, tout ça. Mais on travaillait avec une entreprise qualifié de… SSII ? Et ça s’est super bien passé. C’était vraiment… J’ai appris énormément de choses. L’entreprise avec laquelle je travaillais était super cool. Et en fait, au fur et à mesure moi ce qui m’a pesé dans mon taf, c’était qu’on me demandait d’être en confrontation avec eux en terme de temps, en termes de temps de budget, alors que j’avais complètement conscience des contraintes qu’il avait en termes de réalisation de contenu. Et j’ai commencé à prendre leur parti, au sein de mon entreprise, donc ce n’était pas ce qui était attendu de moi. Ca c’est quand même bien passé de mon point de vue. Mais n’empêche qu’on me disait : mais, tu es dans ton entreprise, tu n’es pas avec eux. Donc, il faut que ça avance.
Et, en fait, au fur et à mesure, c’est ce qui m’a poussé à partir, et à mon compte, parce que je pense que j’aurais pu arriver à un espèce de burn-out en étant du côté des informaticiens, alors que ma propre boîte comprenait pas ce dilemme.
Je trouvais que ça s’intégrait bien dans “numérique et travail” parceque ça m’a donné envie de travailler dans le numérique et mais ça m’a aussi donné tout à fait conscience que je voulais pas travailler dans le numérique dans l’entreprise avec la SSII parce que c’était horrible les conditions de travail dans lesquelles ils étaient de mon point de vue. Et quand bien même j’étais pas eux je trouvais ça horrible de les garder dans cette situation, c’est pour ça.
Je pense qu’il y a une méconnaissance de certains métiers. Parfois ça paraît très simple.
Ma hiérarchie était très éloignée du quotidien. La priorisation était différente : Une situation que moi, je pensais juste, il n’y avait pas du tout d’écoute. Et leur dire ça, ça prend du temps
Leur faire comprendre aussi.
À la fois, j’ai pas lâché, mais en même temps, en partant, ils ont juste trouvé quelqu’un qui est rentré en stage. J’ai d’ailleurs pris des nouvelles et la personne qui m’a remplacé aussi, très chouette, elle fait ce qu’elle peut. Là je suis sûre que plus personne ne défend l’entreprise… et moi je suis sûre ils vont tous faire un burn-out. Je suis triste pour eux, mais je ne peux pas démissionner pour eux. »
« Donc, intéressant, commence la discussion et on parle déjà de burn-out quoi.
C’est très intéressant, parce que vraiment ce truc de… on a donné une conférence avec Thomas qui s’appelle : “on se lève et on se casse” et du coup, je suis plus facilement identifiée comme étant une personne qui parle des problèmes liés aux situations de travail, qui apporte des solutions… Il y a plein de gens qui viennent te parler de leur situation de travail. C’est à peu près toujours la même chose, c’est: “Ouais, ça va pas trop, mais ça va, j’ai pas trop à me plaindre…” Ensuite il déroule toi t’es comme ça (bouche bée) Soit tu pleures, soit t’as ta bouche qui s’ouvre au fur et à mesure, parce que ça commence par un petit truc, puis un, deux, ensuite tu tires un énorme tiroir, qui s’ouvre, tu fais “mais en fait, ça va pas du tout.”
Et après…c’est très habituel que les humains minimisent les trucs compliqués qui leur arrive pour tenir le coup, mais c’est toujours aussi choquant.
Et à la fin les gens concluent en disant “non mais après je n’ai pas à me plaindre. Il y a pire ailleurs.”
Et c’est horrible. C’est vraiment horrible. Alors après il y a plein de situations précaires de toutes natures, là on voit qu’il y a huit, neuf millions de personnes pauvres ou à l’aide alimentaire, je sais plus lequel. Mais bon, voilà, les personnes elles vivent hyper mal leur taf et c’est habituel.
J’ai une copine qui me disait “Ah en ce moment, j’suis en burn-out.”
On devrait s’arrêter 4 heures juste sur cette phrase pour la débriefer, et elle se dit dans une conversation normale quoi.
Moi je me questionne sur le cadre de travail et sur ce qu’on veut.
[Inaudible :( ]
Ça me donne l’impression que sur l’accessibilité par exemple, on est vraiment imprégnés d’une société validiste qui découle sur nos boulots quoi. Et donc nous, on est là, on veut minimiser le fait de concevoir des trucs validistes. Et ce que je trouve intéressant, parce que moi je connais bien l’histoire précédente c’est que, en fait, comme d’autres personnes, le risque c’est que se soit toi qui soit cassée. Toi t’es là, tu tiens, en disant “Ah bah non, il faut faire des trucs de qualité, c’est important”. Et si tu te fait écraser par ta hiérarchie…
Je réfléchis à d’autres contextes où les personnes sont mises de coté pour des choses discriminantes, pas parce qu’elle veulent faire de la qualité, mais des choses problématiques où il faut un rapport de force, ou la personne elle a pas le choix.
Du coup, c’est horrible, parce que l’illusion, c’est qu’on nous vend le monde du travail comme un truc cool, surtout le numérique, avec des petites entreprises. Alors, en fait, finalement, oui, c’est un patron, mais en vrai tu manges avec lui et tout. C’est pas pareil qu’une entreprise où il y a un N+3, N+4 que tu vois jamais.
La personne elle te laisse prendre la décision et puis finalement c’est elle qui décide quand même pour toi et si elle te fait une remarque le midi en disant “ah mais tu as pas livré le site ? c’est pas lundi normalement ?”
Toi t’es comme ça (mal à l’aise)
Je trouve que c’est hyper dur et moi, j’ai tenu que 2 fois 6 mois dans le salariat subordonné. Quand je suis partie la deuxième fois je me suis dit: “mais en fait, je suis chtarbée, je suis pas faite pour travailler, ce n’est pas possible.”
De faire quelques années d’études (j’en avait pas fait douze, mais j’en avais fait 3-4 dans le numérique) de commencer à sentir que il y a un truc, que ça va être vraiment chouette. “Ouais, je vais discuter avec les utilisateurs, récupérer leurs besoins, discuter avec les développeurs pour que le truc soit codé. Ça va être super” Et t’arrives dans le monde du travail et là “Mais je ne peux pas discuter avec les utilisateurs, je peux pas faire un truc de qualité, faut faire des tickets… Je ne comprends même pas ce que c’est, mais qu’est ce que… faut découper d’être des trucs tout petit, alors qu’on fait une reconception globale… mais qu’est-ce que vous me dites ?!”
Je ne sais pas si c’est qu’on ne le dit pas, qu’il y a ce truc enchanté qui est entretenu… “Oui, mais les équipes s’entendent toutes bien”… Oui mais en fait… c’est ce que j’ai beaucoup dans le syndicat, dès qu’il y a quelqu’un qui appelle à l’aide… Donc, en fait, il y a des mailing lists et n’importe qui du syndicat peut écrire. Et du coup je vois toutes les réponses. Donc, autant vous dire que une quantité de mails absolument effarante.
Mais ce qui est très intéressant, c’est que dès qu’il y a quelqu’un qui pose une question, il y a souvent quelqu’un d’autre pour dire “Alors attention, t’es dans une structure, la personne avec laquelle tu parles, elle est à tel poste, donc, du coup, elle a un intérêt avec telle, telle et telle personne. Donc, du coup, voici comment toi, tu te blindes pour avoir des alliés de ton côté” et c’est un rapport de force. Et ils ne voient ça que comme un rapport de force, et finalement a tout gommer, à dire “ah on est copains, on est pareils.” Ben les gens ils se font avoir… »
« Il y a un truc de prise de décision aussi. Je trouve… avant quand les gens étaient dans les usines et qu’il y avait un vraiment ce rapport de subordination, qui était marquée par des étages, par toute la structure en elle-même. Il n’y avait pas de discussion à avoir. Et puis, en plus, le travail c’était sur une machine et point.
Là aujourd’hui, avec le numérique, tu as de la subjectivité dans le travail, qui du côté patronal ça les fait chier. Concrètement, ça les fait chier, je pense, vu de dehors, ce truc là de dire : “mon employé, il a le droit et il réfléchit, son activité, c’est de réfléchir, et c’est flou.
C’est malléable et à chaque fois on va dans des directions, chaque histoire est différente et chaque entreprise est différente aussi, parce que c’est toujours de l’humain et c’est toujours de la subjectivité qu’il y a derrière et il y avait cette histoire de rapports de force qui est omniprésente, je pense, dans une entreprise.
En fait, je mange avec mon patron. Je lui raconte mon week-end. Mais à côté de ça, il va presque se servir de ça pour… “ah ben t’as des problèmes en ce moment ? non, mais vas-y, je te laisse tranquille.”
Par contre, 3 semaines après, quand tout va mieux, maintenant, tu vas me faire 55 heures et tu vas pas, voilà je t’ai laissé un peu tranquille il y a le rapports de force, tout le temps qui est omniprésent, je pense dans l’entreprise, la subjectivité qui est derrière.
C’est des choses qui sont difficiles à appréhender. En plus, on n’est pas formé. Quand tu parles de formations. La formation ne nous apprend pas ça, elle nous apprend pas “l’entreprise.”
Elle nous apprend ce qu’on doit faire ou ce qu’on peut faire. Pas comment gérer les choses qu’on doit faire. »
« J’ai fait un salariat. Où l’humain était pas au cœur de… c’était la rentabilité. Alors après j’ai abordé les idées sur d’autres formes d’entreprises.
(Inaudible) c’est pas mon choix d’avoir des salariés.
Je regarde vers d’autres formes d’entreprise où il y a un peu plus d’horizontalité.
(inaudible)
Mais en utilisant des outils, justement, de gouvernance collective.
Il y a plein de choses qui existent et plein de modèles. »
« J’étais dans une entreprise avant qui se présente comme entreprise libérée. “Présentait comme” Et qui, justement, essayait de mettre en place… Se présentait comme “sans patron” aussi.
Et qui essayait de mettre en place des “cercles”, et il y avait une hiérarchie au niveau de ces cercles de décision, chaque référent de cercle c’était une élection sans candidat.
Je trouve que dans les faits, dans un contexte forcément d’entreprise, moi, je ne connais pas… j’ai jamais été en indépendant, mais c’était dans des entreprises donc forcément (inaudible) derrière.
Mais y avait quand même ce truc… c’est pas n’importe qui non plus qui va être référent… En fait ça marchait pas tout simplement, cette élection sans candidat.
Les gens prenaient pas la responsabilité, ou en tout cas, prenaient pas la mesure. Et il y avait un côté de… même si il y avait de nombreuses personnes qui étaient dans l’entreprise justement, parce que c’était une entreprise libérée, mais qui ne prenaient pas, je trouve, la responsabilité en tant que dans un groupe, dans un collectif, d’être légitime.
Il y a un truc de légitimité. Est-ce que moi ce que je pense a autant de valeur que la personne qui est référent, ou en tout cas qui l’était avant et qui veut plus l’être ?
Il y a une histoire de de légitimité. Il y avait quand même, elle se présentait comme, mais dans les faits, c’était beaucoup dire. »
« Je connais des gens qui se disaient aussi “entreprises libérées” qui disaient “non mais c’est ton avis et point barre”
C’est pas facile d’être sur une gouvernance collective… Parfois. »
« Il y a un rapport au temps parce qu’on est … Compter son temps même en indépendant. Je pense qu’il y a un rapport au temps, qui est assez impactant. Et que quand on fait partie d’un cercle, les missions à côté, qui sont compris dans le temps dédié, mais ce temps-là, il n’est pas non plus allongeable…il y a un rapport au temps qui est hyper… »
« Moi, je voulais rebondir sur ce que tu disais tout à l’heure sur les différentes formes, qu’il existe d’autres formes d’entreprises. Alors moi, du coup là, sur les dernières années, j’ai testé plein de trucs différents.
Comme je le disais tout à l’heure. J’ai été fonctionnaire et en fait, en vrai, je le suis encore. Et du coup, en 2019, j’ai choisi de devenir indépendante. Les raisons officielles à ce moment-là, c’était que je m’ennuyais où j’étais. Mais en fait, a posteriori, je me suis rendu compte qu’il y avait plein d’autres choses qui jouaient, et notamment le fait de faire des choses plus militantes.
J’avais besoin de faire des choses plus militantes et de sortir d’organisation, très hiérarchisées où, en fait, des personnes élues décident de mon travail, et dans des élections. Où, on peut se poser la question : est-ce vraiment un vrai choix. Bref, tout ça quoi.
Et du coup, dans un premier temps, moi j’ai fait partie d’une structure qui était super. Qui fait partie des CAE, les coopératives d’activité et d’emploi, qui permettent d’intégrer une SCOP. J’imagine c’est souvent des SCOP.
Et, en fait, on peut tester une activité d’indépendance et, une fois qu’on a dégagé suffisamment de sous on peut devenir salarié de cette structure et, en fait, on se génère son salaire en fonction de son activité. Donc, on est indépendant, mais avec un statut de salarié, tout en faisant partie d’un collectif, ce qui, pour moi, était vraiment super. C’était l’ouvre boite, qui est en loire-atlantique qui est une CAE généraliste.
Vraiment avec ce truc de…c’était tout nouveau pour moi.
En tant que fonctionnaire je n’avais jamais été habituée à négocier mon salaire, donc quand il s’est sagit de décider de combien j’allais faire payer mes prestations, c’était quand même pas facile. Enfin, voilà, il y a eu plein d’accompagnements qui m’ont vraiment aidée à monter (en compétences) et si actuellement, je suis aussi solide dans mon travail sur des trucs administratifs stratégiques et tout ça, c’est grâce à l’expérience de la CAE. Vraiment, c’est, c’est sûr.
J’ai dû les quitter, mais pour des questions purement administratives, parce que je suis formatrice et qu’ils étaient certifiés Qualiopi et ça m’embêtait beaucoup, mais je vais pas rentrer dans les détails.
Et du coup, j’ai du rebondir sur une structure très facile à mettre en place, pour continuer mon boulot d’indépendante, je suis devenue auto-entrepreneuse en me disant: “bon, en fait, c’est facile, en trois clics l’entreprise elle est créée et en fait, là, j’ai besoin d’une structure pour faire mes factures.” Mais j’y suis pas resté longtemps parce que l’auto-entreprise, pour moi, ça symbolise tellement l’ubérisation du travail, le fait de détruire tout ce qui est acquis et lié au code du travail et au salariat, etc. Enfin bref, ça me convenait pas du tout.
Et, du coup, dernière étape là, c’est la création de “l’établi numérique” qui est une structure coopérative, qui est pas une scop. Qui est une SARL qui correspond au statut de coopérative.
Et donc on a monté ça deux, et pour nous c’était important d’avoir une structure qui corresponde à nos valeurs, c’est-à-dire déjà une forme de partage égalitaire de la décision. Bon, à deux, je pense c’est plus facile qu’à 19. Ou pas, je sais pas, mais en tout cas nous ça va.
Et puis aussi, on a toujours voulu cette structure pour participer à l’intérêt général, que ça ai une utilité sociale. Bien sûr, le but, c’est quand même de nous salarier »
« Que ça fonctionne. »
« Oui, que ça fonctionne. Mais pas être sur un truc de, genre, on fait une superstructure, et puis, au bout de dix ans on la rend et puis on devient rentier quoi. Je caricature un peu. »
« L’idée des (inaudible) c’est de mettre en place des process dans l’idée que la gérance elle puisse être mise en place par d’autres personnes. (inaudible) et que la structure puisse continuer à vivre. »
« Je me rappelle d’un truc qui m’avait marquée dans la création des statuts et tout ça: c’est le fait que, par exemple, tous les bénéfices doivent contribuer à, justement, la pérennisation de la structure qui nous dépasse, qui dépasse “nous” en tant qu’individus.
Donc voilà, et en tout cas moi, dans mon parcours. Donc, voilà, je pensais que je ne savais pas trop si je levais les mains quand je disais que j’ai un employeur ou pas, parce qu’en fait officiellement, je suis salariée de cette coopérative, mais qui est en fait ma coopérative qu’on a à 2 donc… »
« T’es entrepreneur-salariée »
« Voilà c’est ça. Et en tout cas moi, ce que ça m’a vraiment appris cette expérience, là c’est, déjà, ça m’a permis de voir pourquoi j’avais quitté mon… parce que je suis très nul pour analyser les trucs sur le moment, je les analyse beaucoup à posteriori et je fais confiance à mon intuition. Quand on me dit que mon intuition me dit: ça va pas, faut que tu te casses, ok d’accord.
Mais du coup, il y a la question du temps. Où en fait, moi je me suis rendue compte que avoir quelqu’un qui organise mon temps pour moi, je crois que là-dessus je pourrais pas revenir en arrière. Vraiment, ce serait une grosse violence de devoir rerentrer dans un cadre où quelqu’un décide du temps. Après le défaut, c’est que, par contre je vois bien que c’est très propice à l’auto-exploitation. Du coup, on essayait avec mon collègue, de définir des cadres très stricts sur les congés, sur la déconnexion, parce que sinon, en fait, moi, j’ai vraiment l’impression que je pourrais bosser tout le temps. »
« Alors après, c’est chacun son point de vue… Moi j’ai pas envie de déconnecter pendant mes vacances.
Même si on est sur un mode de co-gérance à plusieurs s’ils veulent déconnecter, si on doit répondre… C’est un vrai sujet: la déconnexion. »
« En tout cas, moi, le truc, c’est qu’une fois indépendante, je crois que j’ai mis un an et demi à réussir… avant de prendre mes premières vraies vacances. Quand je dis vraies vacances, c’était des vacances où je pensais pas au boulot. Et pour moi, le côté déconnecté des mails, c’est un peu la base de “c’est des vacances”. Après sur les questions d’urgences… Moi mon téléphone ne reçoit pas mes mails. Alors voilà, moi ça m’a appris plein de trucs, et notamment, voilà, sur la façon de gérer le temps, et sur moi, sur des trucs de comment, quand on décide un peu de son activité, trouver l’équilibre entre factures, ce qu’on fait à titre bénévole… tout en ayant globalement du sens dans tout ça et en ne s’auto-exploitant pas sur notamment la rémunération ou moi, il y a vraiment un truc de… bon là on est encore au début de l’activité donc ca vient petit à petit mais j’ai du mal avec ce truc de se payer suffisamment. »
« Sur des projets de territoire, c’est des projets où on se paie toujours pas… On sert un projet politique, politique, avec un gros P.
Le problème de ce type d’espace, d’un espace tiers-lieu, espace de coworking. Point de vigilance sur le …(inaudible) »
« Quand tu es écrasée par le patron. Mais en fait, pourquoi t’as pas un collègue qui te dit, ou qui va voir le patron en disant “mais c’est dégueulasse !” ? »
« Il y a plein de trucs comme ça… Pareil, quand les personnes viennent me faire leur témoignage elles disent “c’est ma faut aussi, j’arrive pas à dire non.” Mais est-ce qu’ils te demandent ? Te laissent le choix ? Est-ce que tu peux dire “non” à l’aise ?
En fait, la relation elle est entre plusieurs personnes et donc, si jamais toi t’es pas capable de dire non, peut-être la personne elle peut vérifier si c’est un vrai “oui” que tu dis. C’est un truc qui est destructeur ou salvateur parce que, selon les personnes, un taf est empouvoirant pour les personnes et partage bien le pouvoir.
Le pouvoir protège les individus et l’action, par exemple, de dire: “c’est quand la dernière fois que t’as pris des vacances déjà ?” et c’est ça que je trouve vraiment chouette.
J’ai fait un appel il y a deux semaines, j’ai dis “Oh je suis un peu submergée” et les copains ils m’ont dit tout de suite : “Est-ce qu’on peut discuter de pourquoi tu es submergée, qu’est-ce qui se passe ?!” et j’ai dit : “non, c’est juste que ça fait une semaine de menuiserie, ensuite je monte une maison, ensuite y a Faiseuses du Web, ensuite je pars faire une conférence à La Réunion, ensuite je reviens il y a une conférence à Quimper” et là ils m’ont dit : “Okaaaay…”
Et ça permet de faire prendre conscience que tu as individualisé au maximum. Et l’entrepreneuriat, c’est le climax de ça. »
« Je voulais faire un point thune, parce que je parlais d’argent, de “oui, ça coûte cher, de faire de la qualité” ou “voilà, oui, mais l’entreprise, il y a un truc de rentabilité, c’est ça qui est important.”
Du coup je voulais poser des chiffres.
Donc déjà moi je bosse avec l’État, qui perd une thune de ouf, parce que je suis à 600 balles la journée. Autant vous dire qu’un fonctionnaire même très bien payé, j’imagine même à 6000 balles… Du coup, il perd de l’argent mais sur les chiffres, ça fait mieux parce qu’ils embauchent moins de fonctionnaires.
Il y a ça d’un coté. Après j’ai choisi un salaire que je considère assez bas pour pas avoir à trop cotiser dessus et parce que j’ai pas besoin de plus pour vivre.
Le cout pour la structure, il est à 2500€ par mois. Si on fait le calcul en arrondissant à 500€ la journée. Vous calculez, il me faut quatre, cinq jours par mois pour être à peu près à l’équilibre.
Et j’aimerais bien faire ce calcul de transparence à chaque fois avec les entreprises, ou en tout cas moi maintenant, si j’avais un patron je serai capable de lui dire : Mais où va tout cet argent ?!
Je ne comprends pas où vont les dépenses ?! Si en 5 jours facturés je paie mon salaire. Il en reste 15 dans le mois.
Ce réflexe qu’on a derrière “non mais l’entreprise, il faut gagner de l’argent et du coup, c’est compliqué” de la part des patrons c’est trop facile quoi. »
« A ma connaissance, combien coûte un employé ? Au niveau de l’entreprise, il n’y a pas d’informations là-dessus, vous avez eu des formations là-dessus ? »
« Moi oui un peu… Mais j’ai rien retenu du tout, c’est incroyable… effectivement, c’est aussi… c’est quoi “droit du travail” Aucun souvenir d’entendre des trucs type droits des travailleurs, si ce n’est sur la propriété intellectuelle, parce que c’était des des trucs de graphiste et donc on m’expliquait les droits sur mes créations. Mais de dire “si vous avez un patron qui vous demande ça, voici comment vous pouvez vous défendre”, ça n’existe pas.»
« Tu parles des droits… » « de création sous licence libre. Ça n’existe pas. »
« Le droit du travail, personne ne l’apprend. Regardez quand tu vas à l’usine les gens connaissent pas non plus leurs droits.
Et, je voulais revenir sur l’accès à l’information.
C’est là où le numérique il est important, c’est qu’on peut avoir accès à de l’information. Mais il faut savoir où chercher. Ca c’est pas simple, parce que c’est tellement vaste… Mais… ce j’ai appris, vos métiers, par internet, via le biais de réseaux où j’ai découvert le monde de l’informatique. Ou effectivement ce que vous disiez là, moi, j’avais eu l’information.
Syndicat qui existe dans le numérique des choses comme ça… C’était une info qui me qui me concerne pas, mais je sais qu’elle existe.
Et du coup, c’est là où le numérique, il est hyper important, c’est que on peut faire du lien sur de l’information. Quelqu’un qui n’a pas l’information peut ramener l’information à quelqu’un d’autre.
Et c’est là notre force après, en tant qu’humain. Parce que de toute façon, en tant que salariée, si on est dans une boîte, quel que soit notre métier, on va être exploité.
On est, de base, des gens qui vont rapporter de l’argent à une société. Et puis, quand tu tu parlais du rapport au temps, finalement, tu le retrouve aussi beaucoup dans… je prends un métier que j’ai fait, c’est le métier du soin, où, à une époque par exemple, les aides-soignants avaient du temps pour s’occuper des gens, ils n’en ont plus.
Parce que du coup, la notion d’argent, même là si c’est pas forcément des entreprises, la notion d’argent elle est toujours là et elle met un poids sur le travailleur.
Et du coup quand on disait : le numérique, il est politique. Le politique, on le trouve partout dans la vie de tous les jours.
Et c’est, je dirais, notre cause va être en tant qu’humain, on va amener l’info pour que les gens puissent se défendre.
Ou qu’ils aient l’information qu’ils puissent ne pas se laisser marcher sur les pieds.
Et puis, bon voilà aussi.
De toute façon, c’est que de plus en plus on va perdre des droits, on perd de plus en plus.
Nous, on peut peut-être se regrouper et être solidaires entre nous. »